9 décembre 2024 – Le froid insupportable de la cellule

« Le froid, toujours le froid. J'en parle chaque semaine, comme d'une litanie sans fin. J'en parle tellement que les gens s'y habituent, passent à autre chose et n'offrent même plus les bribes de soutien qu'ils m'apportaient il y a quelques semaines. Mais si je continue à en parler, c'est parce qu'il tue ma sœur. Vous qui lisez ceci, emmitouflés dans vos vêtements chauds, réchauffés par vos radiateurs, le ventre plein de nourriture chaude et réconfortante, souvenez-vous du supplice de Sonia. Ce supplice, elle l'endure, non pas comme punition d'un crime, mais parce qu'elle a osé prononcer quelques mots dans un pays où les mots sont devenus un crime.

Alors voilà. Ils ont réussi. Sonia a renoncé. Elle ne se lève plus, elle ne se lave plus. Ces tortionnaires sans visage, ces figures figées par la haine, ont obtenu ce qu'ils voulaient. Sonia, qui ne peut plus affronter l'eau glacée, a renoncé à ce dernier refuge de dignité. Ses mains, craquelées par le froid, se sont détournées. Ses doigts, gonflés et rouges de douleur, sont devenus des étrangers pour elle. Elle souffre de rhumatismes, une maladie qu'elle n'avait jamais connue. Ils ont transformé ses mains, autrefois habiles et pleines de vie, en instruments de douleur. Et chaque matin, l'eau glacée qu'elle ne peut plus toucher devient une torture qui l'humilie autant qu'elle la détruit. Le froid l'a dépouillée de tout : de sa propreté, de sa dignité, d'elle-même.

Sonia est enfermée dans une aile spéciale de la prison. Une prison dans la prison. Un bâtiment isolé, désert, où seules quelques femmes croupissent, coupées du monde, mourant lentement de froid, de solitude et de silence. Aucun son, aucune chaleur ne parvient à cet endroit maudit. Chaque mur suinte la cruauté, chaque couloir gelé semble murmurer leur condamnation. Dans cette cellule, dans ce bâtiment conçu pour se briser, Sonia meurt à petit feu. Chaque goutte d'eau glacée qui devrait purifier son corps est devenue une lame invisible qui la déchire. Sonia n'est plus une femme, elle est devenue une proie. La crasse l'entoure, la gale, les poux... parce qu'ils le veulent ainsi. Parce que sa souffrance leur plaît.

Aujourd'hui, mon père est allé la voir. Séparé par une vitre inflexible, il ne pouvait que la regarder, impuissant, brisé par ce qu'il voyait. Ses mains déformées et meurtries par le froid. Ses traits tirés par l'épuisement. Il a vu ce que ces tortionnaires ont fait à sa fille. Et il est reparti plus brisé que jamais. Cet homme de 82 ans, qui se lève chaque matin pour continuer à travailler dignement, n'a rien pu faire pour la protéger. Rien, sinon porter en silence le poids de sa douleur.

Sonia est venue au parloir, comme toujours accompagnée d'une gardienne. Une gardienne emmitouflée dans une épaisse parka. Même elles, ces femmes exécutantes, ne supportent plus ce froid glacial. Mais elles ont la satisfaction de pouvoir se réchauffer dans leurs manteaux. Sonia, elle, grelotte dans des vêtements sales, sur un corps sale. Envoyer son linge au pressing est un droit accordé par la loi. Mais ici, dans ce goulag dirigé par Madame la Générale, ce droit leur est retiré. Pourquoi ? Parce que cette femme en uniforme veut les voir plier. Elle veut voir Sonia et les autres femmes penchées sur des bassines d'eau glacée, laver leur linge à mains nues dans l'humiliation et la souffrance. Sonia n'a plus la force. Ni de laver ses vêtements, ni de laver son corps. Alors, elle reste dans cette crasse imposée. Non par choix, mais parce qu'elles le veulent ainsi. Parce qu'elles prennent plaisir à la voir sombrer.

Et la nourriture, froide elle aussi, devient une autre arme. Pas de repas chaud pour se réchauffer, pas de moment pour retrouver un semblant de vie. Tout est fait pour briser, écraser, tuer à petit feu. Sonia meurt un peu plus chaque jour, non seulement du froid, mais de tout ce que le froid représente : leur haine, leur mépris, leur volonté de la réduire à néant.

Elle est en colère. En colère contre ces hommes et ces femmes qui punissent non pas un crime, mais une parole, une vérité, une femme libre. Mais Sonia ne crie plus. Elle n'a plus la force de crier. Elle ne peut pas. Elle survit, chaque jour, à la crasse, au froid, aux humiliations, mais elle ne vit plus. Ils ont voulu la briser, et ils y parviennent. Lentement, méthodiquement, ils détruisent tout ce qui faisait d'elle une combattante, une âme libre.

Alors je demande : pourquoi ? Pourquoi Sonia n'a-t-elle pas droit à des gants ? Pourquoi n'a-t-elle pas droit à de l'eau chaude dans sa cellule pour se laver, pour retrouver un peu de dignité ? Pourquoi la loi est-elle bafouée pour satisfaire la cruauté d'une femme ? Pourquoi Sonia, qui n'a commis aucun crime, doit-elle endurer tout cela ?

Aujourd'hui, nous voyons des hommes et des femmes sortir des prisons de Bachar al-Assad. Nous pleurons en voyant ces êtres brisés, qui ont enduré des années de torture, enfin libérés maintenant que le dictateur est tombé. Car tous les dictateurs tombent un jour. Mais rappelez-vous, ici, dans nos prisons, la même chose se produit. Non loin de chez vous, une femme souffre. Des femmes souffrent. Des hommes et des femmes endurent la même douleur que ces prisonniers syriens libérés aujourd'hui.

Est-ce Madame la Générale ou est-ce ce régime qui a décidé de tuer Sonia Dahmani ? C'est ma grande question. Mais qui que ce soit, le jour viendra où il devra répondre aux questions et rendre des comptes.

Vous me direz : pourquoi tant de cruauté ? Parce que c'est leur arme. Parce qu'il ne s'agit pas de la punir, mais de la briser. Sonia, cette femme brillante, belle, rebelle, devait devenir autre chose. Une ombre. Une chose. Une prisonnière courbée par la crasse, le froid, la faim. Une femme réduite au silence.

Ils ont réussi à la briser physiquement, mais ils ne pourront jamais effacer ce qu’elle est, ce qu’elle représente. Un jour, ceux qui l’ont condamnée devront expliquer pourquoi une femme innocente meurt de froid et de crasse dans leur enfer. Ce jour-là, ils devront regarder Sonia dans les yeux – si elle a encore la force d’ouvrir les paupières. Ce jour-là, la justice reviendra. Et ce régime, qui a fait de ma sœur une martyre, devra enfin répondre de ses actes.

Mais aujourd'hui, Sonia a froid. Aujourd'hui, elle meurt de silence et de glace. Aujourd'hui, ma sœur est un cri que je hurle pour briser ce mur d'indifférence. Entends-le. Ressens-le. Et ne l'oublie pas. N'oublie pas Sonia. N'oublie pas ce qu'ils lui font. Et n'oublie jamais qu'un jour, ils devront payer. Ce n'est pas une menace, c'est une promesse.

Écrit par la sœur de ma mère, Ramla Dahmani

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